Edgar Alain Mebe Ngo’o, La chute du parrain
Régulièrement présenté comme un sérieux potentiel successeur à Paul Biya au Palais de l’Unité, l’ex-ministre est en détention provisoire à la Prison centrale de Yaoundé. La justice camerounaise lui reproche des faits de détournements de deniers publics.
« Mebe Ngo’o, l’homme qui voulait être président ». La une de l’hebdomadaire Jeune Afrique, datée du 20 mars 2018 est en soi un écho réverbérant d’un chavirement auquel personne ne croyait véritablement jusqu’au 9 mars dernier. Omnipotent fils du régime Biya, Edgar Alain Mebe Ngo’o, 62 ans, passe désormais ses nuits à la prison centrale de Kondengui. Ses pas y croisent désormais ceux d’autres hiérarques du système, accusés eux aussi de malversations financières ou condamnés pour ce mobile. Bernadette Mebe, son épouse, et trois autres personnes sont elles aussi embarquées dans ce thriller politico-judiciaire qui se joue entre le Tribunal criminel spécial (Tcs) et le Palais de l’Unité où le détenu avait fait parvenir deux correspondances ignorées par Paul Biya, destinataire dont l’intervention aurait pu éviter l’incarcération de l’expéditeur.
Tout commence en 2010. Jule Koum Koum – journaliste camerounais qui va décéder brutalement dans un accident de la circulation par la suite – mène une enquête qui fait état de supposées surfacturations de tenues militaires livrées par la société de fourniture MagForce au ministère de la Défense sous l’ère Mebe Ngo’o. Si jadis l’information fait les choux gras de la presse locale, elle a vite fondre avec l’effet du silence dédaigneux des cercles décisionnels, visiblement trop effrayés à l’idée de troubler le sommeil d’un « baron » de la République à qui « l’accès intempestif » au bureau présidentiel conférait alors une solide invulnérabilité. D’autres révélations vont arriver par la suite, faisant état du gigantisme des possessions immobilières des époux Mebe Ngo’o et de l’implication de sa progéniture dans de nombreux actes d’atteinte à la fortune publique.
Pourtant, Il faudra attendre une soirée pluvieuse de mars pour assister, sur le parvis détrempé du Tcs, à une dégringolade longtemps annoncée, moult fois charriée et, à l’instant même où elle se matérialisait, allait être relayée et commentée à cœur joie sur les réseaux sociaux et dans les médias. Parvenue à Zoétélé, village et arrondissement natal du gardé-à-vue, la nouvelle va susciter joie et effervescence, appuyées par d’enthousiastes pas de danse, autour de dames-jeannes de vin de palme, pour saluer le déclin d’un fils dont la condescendance envers les siens a très probablement causé la colère de plus d’un ancêtre…
Rêve brisé
D’autres interprétations du mélodrame qui emmure Mebe Ngo’o et dont le retentissement tentaculaire a atteint les facétieux milieux françafricains, apprennent que cette déchéance est le corolaire présomptif qui oppresse tous ceux qui ambitionnent le couronnement d’une carrière politique sous les oripeaux présidentiels. Edgar Alain Mebe Ngo’o paierait donc le prix d’un rêve fou.
Edgar Alain Mebe Ngo’o est une fabrication sortie tout droit du moule très d’un biyaïsme dont les fils ont si souvent rêvé de parricide et de gloire atemporelle. Enarque, il est arrivé tel une météorite dans un poulailler politique où des coqs bagarreurs accueillent très mal l’arrivée d’un préfet trentenaire à la tête du Cabinet civil. Il a ensuite gagné en assurance et en pouvoir sous l’ombre protectrice et bienfaisante de son Pygmalion, Paul Biya. Doctrinaire patron de la police nationale (2004-2009), ministre de la Défense (2009-2015) et des Transports (2015-2018), il est à lui seul une volumineuse encyclopédie détenant des pans entiers et précieux de l’histoire de l’assainissement de la gestion du pécule publique. Une histoire dont il fut l’un des fréquents rédacteurs et qui le plaçait dans un rôle infâme de coupeur de têtes. Un bourreau qui a régulièrement utilisé le prétexte de l’opération Epervier pour atomiser des profils de carrière qui auraient pu faire ombrage à ses aspirations ascensionnelles effrénées.
Ancien ministre de la Santé publique et actuel pensionnaire de « l’académie de rééducation morale de Kondengui », Urbain Olanguena Awono, dans son très explicatif « Mensonges d’Etat, Déserts de République au Cameroun » (Editions du Schabel, 2016), présente l’individu sous les traits d’un « petit Machiavel des tropiques camerounaises » dont la cynique cérébralité a forgé et popularisé l’histoire du G11. Cette « association secrète » réunissant quelques pontes du régime – 11 au total – soupçonnés d’ourdir un chamboulement à la tête de l’exécutif camerounais à travers la procédure du grognement de la rue ou celle d’une mutinerie meurtrière. D’autres noms appariassent dans cette littérature inquisitrice, à l’instar de ceux de Polycarpe Abah Abah, ancien ministre des Finances ou de Jean Marie Atangana Mebara, autrefois secrétaire général de la présidence de la République, tous deux, autant que bien d’autres, incarcérés – officiellement – pour des faits de malversations financières.
Edgar Alain Mebe Ngo’o, c’est aussi le conquistador qui sait se faire des amitiés dans l’obscurité des discussions françafricaines : ce médaillé de la Légion d’honneur française tutoie et passe l’accolade à Henri Franchitti, un Corse de 68 ans, bien connu des palais subsahariens où son entreprise, MagForce, est l’adjudicataire des marchés les plus rentables quand devient pressante dans les casernes, l’envie de rafraichir la garde-robe des galonnés. Evidemment, les amis de Franchitti sont aussi ceux du Quai d’Orsay et des faiseurs de rois qui y travaillent. Ailleurs, c’est la fanfare qui l’accueille quand ses pieds touchent le tarmac d’un aéroport étranger où ses taches de plénipotentiaire du chef de l’Etat l’amènent. Chine, Etats-Unis, Japon… Les bruits sont énormes chaque fois que « Bébé Doc » est dans les parages. Mais c’est aussi un méticuleux politicien qui est prévenant quand la rumeur lui trouve des accointances suspectes avec des intelligences extérieures : « je sers le Cameroun sous la conduite clairvoyante de son illustre chef, Paul Biya », avait-il objecté en 2014 à des confrères français qui avaient déjà détecté l’omnipotence gestative de ce Brutus en puissance. Hélas ! Un rêve que la forfaiture de la prison, l’outrage du dénigrement et l’abandon des suppôts d’hier ont complètement désarticulé.