Entre Félix Tshisekedi et Apple, la bataille autour des « minerais du sang » prend une tournure judiciaire
Pour Félix Tshisekedi, le géant californien Apple exploite « les minerais du sang » pour fabriquer ses iPhone. De son côté, le groupe dirigé par Tim Cook nie tout lien avec les groupes armés en RDC.
Pour le président de la RDC, « c’est documenté » : les iPhone de la multinationale américaine Apple sont entachés « du sang des victimes congolaises ». Intransigeant, Félix Tshisekedi , alors en voyage officiel en France, s’est exprimé, début mai, au sujet des méthodes d’approvisionnement « douteuses » du géant californien de la tech sur fond de conflit avec le voisin rwandais.
Après les critiques sur l’exploitation des travailleurs, l’obsolescence programmée des appareils ou encore l’évasion fiscale, la marque à la pomme se retrouve ainsi au cœur d’un nouveau tourbillon politicomédiatique. Alors qu’il a toujours assuré produire ses nouveaux iPhone à partir de terres rares recyclées, Apple se retrouve dans le collimateur de Félix Tshisekedi concernant l’extraction et l’achat des métaux nécessaires à la fabrication des produits électroniques grand public.
Mise en demeure de la maison mère d’Apple
En cause : l’utilisation des minéraux « 3T » (étain, tungstène, tantale) qui seraient exploités illégalement dans des mines congolaises par les rebelles du M23 , et que l’on retrouverait in fine dans la composition des appareils d’Apple. Extrêmement riche, le sous-sol de la RDC regorge d’abondantes ressources minérales utilisées notamment par l’industrie de l’électronique et indispensables à la production de batteries électriques dans le cadre de la transition énergétique.
Si les métaux « 3T » sont très employés par d’autres acteurs internationaux, à l’image de Google, Samsung, Intel, Microsoft ou encore Tesla, Félix Tshisekedi cible particulièrement le groupe dirigé par Tim
Cook. La sortie médiatique – largement commentée – du chef d’État intervient d’ailleurs quelques jours après la plainte déposée contre Apple pour usage des minerais « exploités illégalement » en RDC.
À en croire Kinshasa, les rebelles du M23 agissent en sous-main au profit du Rwanda pour s’accaparer les richesses du sous-sol congolais. Selon le gouvernement congolais ainsi que l’ONU, le M23 est soutenu par les Forces de défense du Rwanda (RDF) et à l’origine de l’exploitation illégale des mines congolaises dans la province du Nord-Kivu.
Dans le processus de contournement des mesures sur la transparence de
l’origine des minerais du Congrès américain et de l’Union européenne , les métaux stratégiques recelés par le M23 sont « blanchis », après un transit obligatoire par le Rwanda , accusent les avocats de la RDC dans une mise en demeure adressée à la maison mère américaine d’Apple et à ses deux filiales en France.
« Ces minerais proviennent de la RDC »
Bien que le géant californien utilise dans ses produits des minerais stratégiques achetés à Kigali, le groupe dirigé par Tim Cook ne souhaite pas céder à la pression. La raison ? Apple affirme n’avoir « trouvé aucune base raisonnable pour conclure que l’une des fonderies ou raffineries de 3T déterminées comme faisant partie de la chaîne d’approvisionnement au 31 décembre 2023 a directement ou indirectement financé ou bénéficié à des groupes armés en RDC ou dans un pays limitrophe ».
Tenu à une obligation de vigilance concernant sa chaîne d’approvisionnement, le patron du géant de l’électronique et des technologies fait, pour l’instant, le dos rond face aux nouvelles accusations
de Félix Tshisekedi. Habitué aux attaques en justice en responsabilité civile, à l’image des différentes majors du numériques (Alphabet, Microsoft, Dell, Tesla…), le groupe réitère son engagement à mettre en
place une chaîne d’approvisionnement responsable dans les différentes zones de conflit.Il y a certainement du passage de minerais de la RDC vers le Rwanda, mais il est difficile d’estimer en quelle quantité.
Cedrick Gineste Géologue
Face à la position inflexible du géant américain des produits électroniques grand public, le chef de l’État congolais n’hésite pas à hausser le ton. « Les gens d’Apple disent qu’ils achètent des produits propres. Or, nous savons qu’au Rwanda il n’y a même pas un gramme de minerais les plus prisés qui sont destinés à la fabrication de cette technologie-là », rétorque Félix Tshisekedi, selon lequel « ces minerais proviennent de la RDC », accusant au passage certaines ONG de complicité et de manipuler la transparence de
l’origine des métaux stratégiques achetés par Apple.
Sur le terrain, « les zones géologiques riches en étain-tantale-tungstène s’étendent de part et d’autre du Grand Rift au Rwanda et en RDC, où elles sont plus étendues », souligne le géologue Cedrick Gineste, contacté par Jeune Afrique. Pour l’expert minier en Afrique subsaharienne, «intuitivement, il paraît suspect que Kigali arrive à maintenir de telles productions pour se hisser parmi les premiers producteurs mondiaux, pour le tantale notamment. Il y a certainement du passage de minerais de la RDC vers le Rwanda, mais il est difficile d’estimer en quelle quantité et contrôlé par qui ».
Vers de nouvelles offensives judiciaires
Après la guerre des mots initiée par le chef d’État, le match entre Félix Tshisekedi et Tim Cook se jouera désormais à la barre. Élu pour un second mandat à la tête de la RDC – premier producteur mondial de cobalt et premier producteur africain de cuivre –, le président congolais veut «moraliser le secteur de l’extraction des minerais rares, surtout quand ils sont extraits au prix de la commission des crimes les plus graves », expliquent les avocats de Kinshasa dans la mise en demeure adressée à Apple.
Selon les juristes français mandatés par la RDC, William Bourdon et Vincent Brengarth, la démarche vise à mettre un terme à « l’extraordinaire gravité de la situation dans l’est du pays, source de très graves dommages à la population locale ». Le géant d’Afrique centrale peut-il vraiment obtenir gain de cause face à la multinationale américaine ? Toutes les options judiciaires sont maintenant sur la table, d’après les avocats de Kinshasa, car les engagements du groupe américain sont jugés « notoirement insuffisants » par les autorités congolaises. Objectif : dévoiler les vérités «des minerais du sang ».